Une cuisine de plus en plus complexante !
Vous avez sans doute vu fleurir des recettes faciles sur les réseaux sociaux, pour réaliser en quelques minutes un sapin feuilleté au pesto ou des rosaces aux pommes, et autres recettes appétissantes et simplissimes. Ces vidéos virales suscitent un engouement sans précédent et font la part belle au visuel et au format court, quasi sans texte, facile à mémoriser et à reproduire. Evidemment, cette cuisine a ses détracteurs qui la jugent « facile et fourre-tout, foodporn ad nauseam », et est montrée du doigt notamment parce qu’elle utilise des produits industriels et qu’elle se contente d’assembler des aliments souvent gras et sucrés. Cela étant, j’applaudis quand même des deux mains une initiative qui peut donner aux gens l’envie de se lancer : vive la cuisine décomplexante !
Il me semble qu’il y a quand même une certaine forme d’élitisme à dénigrer des recettes basiques (au sens qui utilise des ingrédients de base, pas forcément nobles), de surcroît pas très élaborées. Les adversaires de cette cuisine considèrent que « ces recettes sont anti-gastronomie et feraient s’évanouir de honte n’importe quel cuisinier de talent », rien que ça ! Certains auraient même du mal à affubler le terme de « recette » à ce que proposent ces vidéos, comme si une recette devait nécessairement être compliquée, raffinée ou élaborée pour être valable ? Et de poursuivre : « ici, nulle trace de produits frais, point d’ingrédients qui nécessitent d’être googlés. Ça donne envie, et ça repousse en même temps, un peu comme un désir honteux et vulgaire ». Voilà, nous y sommes, une cuisine comme ça, ce serait vulgaire, cela vient flatter des goûts pas très reluisants et des plaisirs coupables et difficiles à assumer ! Un peu comme le fast-food pour certaines personnes, qui se défendent d’y aller alors qu’elles adorent ça, par peur sans doute d’être jugées sur leurs goûts et comportements alimentaires ?
Stop Chef, vive la déculpabilisation en cuisine !
Et pourtant !
Et si la raison du succès était aussi la simplicité déconcertante et déculpabilisante de ces recettes ? Elles font appel à des produits simples, familiers (qu’on n’a pas besoin de « googler » comme dit le journaliste, et c’est tant mieux non ?) et ne nécessitent pas la mise en œuvre d’une technique culinaire particulière. Ce sont, selon moi, des vidéos qui encouragent à oser et peuvent représenter un vivier d’idées et de créativité pour bon nombre de personnes qui cuisinent. En particulier, ceux que les émissions culinaires tétanisent et inhibent… Ceux qui en concluent d’un ton qui ne souffre par la contradiction « je ne sais pas ou bien je ne peux pas cuisiner », autant de formulations qui disent l’empêchement et l’interdiction qu’on se fait (qu’on s’impose ?) à soi-même, plus que l’incapacité et l’incompétence véritables.
Beaucoup de mes clients me disent « je ne cuisine pas, je fais à manger » ou encore considèrent que cuisiner, c’est nécessairement faire cuire ! Comme s’il y avait une dichotomie entre ceux qui méritent le titre et les autres,
- avec les sachants d’un côté, encouragés par les émissions culinaires, dotés de solides bases culinaires et/ou d’un tempérament perfectionniste, qui les pousse à considérer la cuisine comme une activité où on se surpasse (quitte d’ailleurs à se coller une pression énorme)
- et de l’autre, ceux qui n’ont pas appris (la transmission culinaire ne faisant plus partie des bagages incontournables aujourd’hui), ne savent pas comment s’y prendre et/ou n’osent pas tout simplement.
C’est à mon sens le même élitisme qui différencie d’ailleurs deux cuisines : la cuisine quotidienne, vite faite, souvent appréhendée sous l’angle du devoir (voire de la corvée !) et encore très souvent réservé aux femmes et la cuisine de week-end, où l’on prend le temps, où le plaisir fait partie intégrante du processus et où peuvent se mêler un désir de se réaliser (très souvent sous le regard ou les applaudissements d’un public), une envie d’explorer sa créativité, un besoin d’en mettre plein la vue et de se glorifier ou tout simplement une envie de se relaxer. Dans ces deux cuisines, les ingrédients mais aussi les rapports au temps (pour ne citer que ces deux variables) sont différents…
Cette cuisine à deux vitesses entraîne le développement d’une vision anxiogène de la cuisine. Cuisiner peut faire peur, complexer, inhiber. A fortiori si, comme Brillat Savarin, on considère que « convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu’il est sous notre toit » … posture un tantinet excessive, avouons-le ! Un terme désigne même cette peur panique des casseroles, la kitchen performance anxiety !
Faire sans recette pour trouver ou rester dans le plaisir de cuisiner
Pour s’en défaire, une seule solution : faire sans recette et sans objectif de résultat, s’autoriser à suivre son imagination et son intuition, se faire confiance, oser se lancer tout simplement. Puissamment libérateur à partir du moment où l’on s’accorde le droit à l’erreur, en cuisine aussi. C’est ainsi que des participants qui se présentaient comme « nuls en cuisine » et ne se sentant absolument pas prêts à cuisiner pour d’autres, en viennent à imaginer donner des conseils de dégustation à leurs futurs invités pour leurs plats, moins de deux heures après avoir démarré un atelier Papilles Créatives.
Heureusement donc, les choses sont en train de changer. Beaucoup d’initiatives y contribuent, que l’on pense (en vrac) :
- au livre de cuisine le plus simple du monde (Simplissime) qui a fait grand bruit en fin d’année et s’est même retrouvé en rupture de stock,
- à l’invitation à improviser en cuisine avec le mouvement No Recipe qui vient des Etats-Unis,
- à l’imperfection revendiquée de la cuisine populaire « vivante, spontanée, intuitive, créative et chaleureuse »
- à la prédominance du partage avec les plateformes d’échanges de plats (comme Comuneat et MamieRégale) qui signe une forme de retour aux fondamentaux
- à la proposition de « kiffer la cuisine » faite par Florence Servan-Schreiber ou par des blogueurs ici ou là (pour l’une d’elles, « le vrai secret quand on débute en cuisine c’est de kiffer et de ne surtout pas se mettre la pression » – amen !)
- et à Papilles Créatives bien-sûr, à son humble niveau.
Alors Top Chef ou Stop Chef ? Peu importe, ne vous laissez pas enfermer dans cette vision de la cuisine à deux vitesses et découvrez, explorez, inventez votre propre façon de cuisiner ! Avec le plaisir en fil rouge bien évidemment.
Praticien Cuisine Thérapie :
10 questions pour savoir si ce métier est fait pour moi
0 commentaires