Magie culinaire
J’ai vécu une expérience inouïe au moment du dessert dans un restaurant étoilé où j’ai eu la chance d’être invitée dernièrement. L’ensemble des plats était une vraie réussite, un sans-faute absolu : après une mise en bouche savoureuse à base d’asperges et de panais, je m’étais déjà délectée d’une entrée composée de tourteau, de mangue, de pommes verte et d’avocat, suivie d’un merlan en croustillant de pommes de terre accompagné de petits pois, de fèves et de lard et d’un pré-dessert chocolaté qui avaient déjà mis la barre très haute. Mes sens étaient complètement en éveil après ces plats raffinés, je prenais le temps de sentir les effluves, d’admirer les couleurs et le dressage dans l’assiette, d’entendre le pain craquer sous mes doigts, bref de savourer avec délectation. Et puis est arrivé ce dessert sobrement baptisé Sphère à la fraise, qui s’est laissé découvrir en 3 temps : d’abord une sphère d’une forme parfaite, réalisée en chocolat blanc qui ressemble à une fraise ou du moins en reprend les codes avec sa collerette verte et ses picots à la surface. Ensuite le serveur verse délicatement un coulis de fraise brillant et d’un rouge intense sur la surface. Et 3ème acte, la coque s’ouvre sous l’effet du coulis et laisse entrevoir des fraises fraîches, une pâte de fruits et un sorbet fraise et quelques biscuits façon crumble…. C’était magique, je crois avoir suspendu mon souffle et eu les yeux qui pétillaient pendant tout le cérémonial et je me suis sentie excitée comme une petite fille au moment de goûter…. A la dégustation, un festival de saveurs bien sûr, et un pur bonheur de la 1ère à la dernière bouchée.
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La cuisine, un art ou pas ?
Pourquoi je vous raconte tout cela ? Parce que compte tenu de cette intense émotion, je me suis demandée si finalement la cuisine n’était pas un art. Finalement parce que des lectures récentes m’avaient convaincue du contraire. Il est vrai que le sujet a toujours prêté à débat, mais j’en étais arrivée à acheter la posture selon laquelle la cuisine n’est pas de l’art. A contrario donc du poète et gastronome français Marcel Rouff (1877-1936) pour qui « la cuisine est l’art du goût, comme la peinture est l’art de la vue et la musique l’art de l’ouïe », je n’adhère pas à cette vision que je trouve forcément limitative. La cuisine ne peut pas être que l’art du goût tant elle engage selon moi les 5 sens. Qu’on prenne un repas dans un grand restaurant ou pas d’ailleurs, la vue mais aussi l’odorat, le toucher et l’ouïe sont tout aussi essentiels à ma dégustation. Il m’est arrivé par exemple d’être déçue de produits irréprochables parce qu’ils étaient tristement posés dans une assiette. La cuisine est pour moi un festival sensoriel, et pas seulement gustatif.
Evidemment, certains plats ont de fait une dimension artistique, ne parle-t-on pas d’ailleurs d’art culinaire ? Si l’on se réfère à l’historien Patrick Rambourg dans son Histoire de la cuisine et de la gastronomie françaises, plusieurs critères entrent en compte dans la définition de cet art culinaire : le goût, l’harmonie, le savoir-faire du cuisinier ainsi que la créativité du plat. Ces critères sont d’ailleurs codifiés dans le terme gastronomie, entendue comme « la connaissance de tout ce qui se rapporte à la cuisine, à l’ordonnancement des repas, à l’art de déguster et d’apprécier les mets » (Larousse). De plus, la cuisine, comme l’art bien sûr, est un moyen d’expression (« un moyen d’aimer, de communiquer, de s’exprimer, de se faire plaisir » selon le chef Pierre Gagnaire) et le cuisinier, tout comme l’artiste, est dans une démarche de don authentique. Il s’expose par ailleurs à un public et à ses appréciations. Au-delà de ces appréciations isolées, il existe des classements officiels des restaurants qui ne sont pas sans rappeler les cotations pour les artistes. L’esthétisme de l’œuvre (tant visuel que gustatif) peut également être source d’émotions fortes, tout comme l’art peut lui aussi donner lieu à des chocs esthétiques (et jusqu’au fameux syndrome de Stendhal).
Malgré tous ces points communs, il n’en reste pas moins que la cuisine ne peut pas être un art car elle est instantanée et éphémère à la différence de l’art cette fois-ci (encore que le Land Art, qui utilise le cadre et les matériaux de la nature comme le bois, la terre ou les cailloux, présente les mêmes caractéristiques à bien y réfléchir… mais ne complexifions pas la réflexion !) : quel que soit le talent du cuisinier, l’œuvre culinaire est vouée à disparaître et à finir broyée en étant incorporée. A tel point que si l’on en croit le magazine Beaux-Arts et Patrick Rambourg toujours, les conditions pour qu’un cuisiner soit considéré comme un artiste tiennent au fait « qu’il prolonge son œuvre avec une harmonie visuelle et ornementale ». Est-ce à dire qu’un cuisiner peut devenir un artiste s’il prend un soin particulier à la décoration et à la mise en scène ornementale de son œuvre ? Parle-t-on ici de tout ce qui peut contribuer à prolonger voire immortaliser la création ? Et si oui, ce qu’il est coutume d’appeler le food porn (c’est-à-dire la capacité à faire saliver et éveiller les sens avec des photographies de qualité) n’est-il pas un outil comme un autre pour pérenniser l’œuvre culinaire ? Les souvenirs et les paroles des convives ne suffisent-ils pas à ressusciter l’œuvre culinaire et à la rendre impérissable dans les mémoires, et donc à lui conférer une dimension artistique ? Force est pourtant de constater qu’un certain nombre de grands chefs se revendiquent plutôt comme étant des artisans plutôt que comme des artistes, notamment parce qu’ils considèrent que leur métier ne consiste pas en de la créativité pure et contient beaucoup d’actes répétitifs.
Cuisine et émotions
Qu’elle fasse partie du domaine artistique ou pas, la cuisine est en tout cas source d’émotions fortes, de par sa dimension esthétique (sur le plan gustatif mais aussi visuel). La conviction qui m’habitait dans ce restaurant était que j’étais en contact avec le Beau, en train de vivre quelque chose de rare et spectaculaire, quelque chose qui m’échappait complètement et me séduisait totalement : cette sphère à la fraise me paraissait inaccessible et parfaite, je suis évidemment incapable de faire un truc pareil, et j’ai même du mal à imaginer comment ça se fait mais je n’étais pas dans ce genre de questionnement. Je n’étais pas du tout dans le mental d’ailleurs ! J’étais seulement excitée, avec un sourire béat et médusé. Puis dans une forme de recueillement avant la dégustation, silencieuse et concentrée sur mes ressentis et laissant échapper des murmures d’extase pendant. Avant d’être assaillie par l’envie d’échanger sur cet instant magique avec la personne qui m’accompagnait, pour m’assurer qu’elle partageait la même émotion que moi sans doute ?
Art ou pas, finalement peu importe. Ce que je retiens de cette expérience indicible, c’est que la cuisine a des effets puissants et qu’elle peut combler de bonheur. Le fameux chef Michel Bras ne considère-t-il pas d’ailleurs qu’en tant que cuisinier, il est « marchand de bonheur ». C’est aussi une « école de la vie » comme le dit si joliment Perla Servan-Schreiber. Elle nous invite à accueillir l’impermanence, à apprécier la fugacité de l’instant, à être pleinement conscient de ce que l’on est en train de vivre. Par une forme de recueillement naturel, la cuisine nous invite à ralentir et à savourer le spectacle de l’instant présent. Et à en livrer une interprétation toute personnelle, qu’on peut choisir de partager avec la personne qui nous accompagne ou d’autres par la suite. Alors je vous livre la mienne : cette sphère ronde, d’une forme parfaite et inaccessible au début, à laquelle on n’ose presque pas toucher tant c’est beau et prometteur, tant le terrain paraît vierge et mystérieux gagne selon moi à se craqueler sous l’effet du coulis de fraises, qui coule longuement et régulièrement sur ses flancs. Cet agent extérieur lui permet de s’entrouvrir tout doucement à force de patience, la fraise fait alors preuve d’authenticité et laisse apparaître son trésor, découvrir sa richesse et sa complexité, ses fragilités aussi, avant d’autoriser sa dégustation… Interprétation toute personnelle donc, mais c’est une projection symbolique qui me parle en ce moment. Allez savoir !
Le restaurant où a eu lieu cet instant magique, c’est la Fourchette du Printemps, que je vous recommande chaudement évidemment !
Praticien Cuisine Thérapie :
10 questions pour savoir si ce métier est fait pour moi
Merci pour cet article fort intéressant et ces photos qui font saliver. Il est rare que je m’arrete devant la vitrine d’un joaillier, en revanche je fais toujours une halte visuelle devant les vitrines des bons patissiers. Je les connais bien les gateaux et pourtant je peux rester là à les contempler sans me lasser, je scrute les couleurs, les formes, j’imagine les parfums… citron, fraise, chocolat, pistache, praliné, … les textures… fondante, craquante, moelleuse, le plaisir est là, je n’entre pas, je continue ma route, heureuse, rasassiée de toutes ces beautés sucrées pleines de promesses.
Comme je te comprends ! Je peux traverser la rue juste pour le plaisir des yeux 🙂
Et quand je me laisse tenter par une gourmandise, le plaisir est alors décuplé !
Très intéressant ! Merci
Et ça donne envie de retourner dans ce très bon resto 🙂
Ah ah, je sens que j’ai un connaisseur !! Il est divin ce resto… un festival des sens !